En mars 2020, quand la pandémie paralyse le Québec en entier, le milieu culturel est frappé de plein fouet. Salles fermées, ouvertures partielles, fermeture complète à nouveau : les arts vivants sont mis sur pause pour une durée indéterminée. Face à cette réalité, les concerts doivent se redéfinir et le numérique s’impose comme une alternative à la scène.

Comment l’Orchestre symphonique de Drummondville apprivoise-t-il ce nouveau médium? Le directeur artistique Julien Proulx s’ouvre sur le sujet, tandis que le vidéaste Simon Jolicoeur-Côté nous partage son point de vue sur la musique classique filmée depuis l’arrière de sa caméra.

Pleins feux sur l’OSD en mode numérique !

Développer de nouveaux outils

La contrainte de devoir se tourner vers le numérique pour rejoindre son public a forcé l’OSD à faire preuve de créativité et à développer de nouveaux outils. « Notre présence web filmée était plutôt limitée jusqu’ici », dit Julien Proulx. « On n’avait jamais vraiment investigué ça, que ce soit sur Youtube ou sur nos réseaux sociaux. C’est un peu une opportunité à saisir finalement, le fait qu’on soit obligé de s’y pencher maintenant. Je vois ça comme une année d’exploration, de “recherche et développement”. On en profite pour essayer des choses qu’on n’aurait pas eu le temps de faire normalement ! »

Au menu pour cette saison particulière : des capsules culturelles, des mini-concerts numériques gratuits et des concerts en webdiffusion.

Une offre à part entière plutôt qu’une solution de rechange

Pour Julien Proulx, il est clair que l’expérience du numérique ne doit pas venir seulement pallier l’absence des concerts en salle ou être présentée comme une offre par dépit. « Si on filme un produit qui a été pensé comme un concert, ça ne rend pas justice au concert et ce n’est pas aussi satisfaisant pour le public et les artistes. Ce qu’on recherche, c’est traiter la captation numérique comme un produit en soi, quelque chose de nouveau, avec une plus-value artistique par rapport à l’expérience en salle. De la même façon qu’on ne peut pas retrouver l’énergie d’un concert live quand on le filme, on veut développer un produit que les gens ne pourront jamais retrouver en salle. »

Impensable, donc, de simplement jouer comme avant en allumant des caméras. Une démarche de réflexion est entreprise afin de créer des produits uniques, pensés expressément pour l’écran. « Avec le télétravail, les gens restent devant leur ordinateur pendant des heures. On doit être assez convaincants pour qu’ils y restent encore plus longtemps pour nous regarder ! »

Mettre en valeur les lieux culturels de la région

Au départ, l’idée de sortir de la salle de spectacle s’impose. « Comme on ne peut pas nécessairement être tous sur scène en même temps, un de nos buts est d’occuper le territoire, d’aller visiter différents lieux importants de la ville de Drummondville, que ce soit d’anciennes industries, des églises, la nouvelle bibliothèque… De mettre en lumière, donc, toute la richesse des lieux emblématiques de notre région », explique Julien Proulx.

Différents regards dans la lentille

Que ce soit pour les capsules culturelles, les mini-concerts ou les concerts, l’OSD fait appel à différents vidéastes pour qu’ils posent leur regard singulier sur l’Orchestre et ses musiciens. « Avoir recours à différentes signatures artistiques enrichit notre démarche de création d’œuvres originales. On travaille de pair avec les réalisateurs, ce qui est tout nouveau pour nous. En musique classique, on est habitué à faire des disques, des captations live, mais tourner des capsules, par exemple, c’est un tout nouveau mode de production pour nous. Alors que c’est un médium utilisé depuis longtemps en pop — avec les vidéoclips par exemple —, c’est un peu de l’inconnu en classique. Il faut donc s’assurer de tous parler le même langage quand on travaille ensemble. »

Accompagner visuellement le spectateur dans son écoute

Le vidéaste Simon Jolicoeur, qui a entre autres réalisé le mini-concert Fanny Mendelssohn* et quelques capsules culturelles, cherche à transmettre un narratif de l’œuvre dans son travail. « Mon objectif est que les plans, le montage, le rythme des images concordent avec la pièce. Ce n’est pas toujours facile. Il faut surtout bien connaître l’œuvre avant de la filmer, l’écouter, étudier la partition pour être en mesure d’adapter le cadrage et les angles de vue. Ce travail doit être fait en amont puisqu’une fois les images tournées, on doit monter avec qui a été tourné! »

Le principal défi pour rendre intéressant un concert à l’audiovisuel est de créer un équilibre entre les plans rapprochés et les plans larges sans briser le rythme musical. « Il y a tellement de concerts qui sont filmés de façon triste… Je ne crois pas avoir de solution miracle, mais je pense que j’amène une touche personnelle à mes plans. Mon background en vidéo est loin de la musique (j’ai commencé avec des tournages extérieurs, sportifs et très intenses!), mais je suis aussi un tromboniste professionnel. Je comprends les enjeux d’un tournage en musique, le rôle d’un chef d’orchestre ou la respiration d’une section avant de jouer. Je pense que le mélange entre les deux milieux, le sport et la musique, me donne un regard différent », renchérit Simon Jolicoeur-Côté.

Les avantages du numérique

Filmer un concert, c’est donner la chance au spectateur d’être dans l’orchestre, et non assis dans une grande salle.

Qu’est-ce que le développement d’un produit numérique permet ? « Explorer l’aspect visuel de la performance », répond Julien Proulx. « Les caméras peuvent se promener, on peut avoir un regard différent sur les musiciens, leurs instruments, on peut voir des visages, des doigts en gros plan, le chef de l’avant – contrairement au concert où il fait toujours dos au public. Ça permet d’avoir des montages et des images plus dynamiques que lorsqu’on filme un concert comme une simple captation live. On propose un produit vivant, différent de ce qui se fait ailleurs. Transposer la musique dans d’autres lieux nous permet aussi d’explorer des ambiances totalement différentes de celles d’un concert régulier. »

Simon Jolicoeur-Côté abonde dans le même sens. « Ce que je cherche, c’est faire vivre au public l’émotion, la tension ou l’effort physique que les musiciens sentent et qui est difficilement transmissible en salle. J’aime les plans rapprochés pour ça. Filmer un concert, c’est donner la chance au spectateur d’être dans l’orchestre, et non assis dans une grande salle. Je crois que c’est cette proximité qui rend les tournages de musique classique intéressants. »

Un tournage est aussi le moment d’oser prendre des risques, comme essayer de nouveaux plans et tester des angles différents. Le pire qui peut arriver, c’est que les images soient coupées au montage !

Atteindre un nouveau public

Jusqu’à présent, les expériences numériques de l’OSD lui ont permis de réaliser que la webdiffusion touche un public différent de celui qui se présente en salle. Une belle occasion d’ouvrir les portes de la musique classique à ceux qui ne sont peut-être pas encore prêts à franchir le pas de s’acheter un billet pour assister à un concert ! « Ce qui est intéressant aussi, renchérit le directeur artistique, c’est qu’il y a tout un bassin de gens à l’extérieur de la région qui profite de notre diffusion sur le web. Que ce soit des membres des familles de nos musiciens, des gens qui ont entendu parler de nous et qui n’ont pas nécessairement l’occasion de se déplacer pour venir nous entendre à Drummondville, ces gens de l’extérieur ont maintenant accès à ce qu’on fait. C’est une façon de partager plus largement notre musique. »

Que restera-t-il après la pandémie?

Si les concerts filmés ne sont peut-être pas destinés à demeurer dans l’offre de l’OSD une fois la situation rétablie, les capsules et les mini-concerts, eux, pourraient bien se poursuivre. «Sous une certaine forme. Évidemment, ça engendre des coûts supplémentaires énormes, mais je pense que l’idée était justement de développer une esthétique, une expertise, des liens avec des collaborateurs qu’on aimerait bien garder près de nous. »

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* Présentateur du concert: Caisse Desjardins de Drummondville. Merci au Centre des arts populaires de Nicolet d’avoir rendu possible cette première aventure, ainsi qu’à Sogetel et à Traiteur Richard Côté.